La Deuxième Guerre mondiale – 1939-1945

Lorsque la guerre éclate, les artilleurs canadiens s’entraînent encore avec les armes utilisées par leurs pères en 1918. Les forces mobilisées avec une rapidité et une efficacité admirables au début des hostilités devront attendre plusieurs mois avant d’être complètement dotées d’armes modernes

Le 25 août 1939, étant donné la montée de la pression en Europe, des volontaires issus de la Milice sont appelés pour servir les moyens de défense des côtes et la 4e Batterie AA reçoit l’ordre de quitter Kingston pour Halifax. Le 10 septembre, le Canada déclare la guerre. En l’espace de deux jours, chacune des batteries de la force permanente envoie 25 de ses membres dans des villes partout au pays pour servir d’instructeurs adjoints en artillerie dans les unités d’artillerie de la Milice. Lorsqu’il y en a, des pièces de 18 lb et des obusiers de 4,5 po de la Première Guerre mondiale servent à l’école de pièce. D’autres unités doivent improviser et se servir de meubles de chambrée et d’un dessin de canon tracé à la craie sur le sol.

Dès le 3 décembre, la 1re Artillerie divisionnaire commence à se rassembler à Halifax et le 10 décembre, le premier convoi part pour l’Angleterre. L’instruction en Angleterre est ralentie au début par le manque d’équipement, qui devient bien vite évident.

Les régiments d’artillerie de campagne (l’expression « Brigade of Field Artillery » [brigade de l’artillerie de campagne] est supprimée au début de la guerre) se modernisent, partant des pièces de 18 lb à des pièces de 18/25 lb et enfin, aux nouveaux canons-obusiers de 25 lb et au Sexton automoteur de 25 lb. Les régiments moyens reçoivent des canons de 5,5 et de 4,5 po. Les régiments antichars (une innovation de cette guerre) sont équipés en premier avec des pièces de 2 lb, puis reçoivent des pièces plus efficaces de 6 lb, suivies de pièces de 17 lb et du canon antichar automoteur américain M10 (3 po). Les batteries d’artillerie antiaérienne légère (AAL) sont dotées du canon Polsten de 20 mm et du canon Bofors de 40 mm, arme fiable, pour engager les avions à basse altitude. Les unités d’artillerie antiaérienne lourde (HAA) assurent la garde contre les avions volant à plus haute altitude avec leurs pièces de 3,7 po. Plus tard pendant la guerre, une fois que les Alliés établissent leur supériorité aérienne, les canons antiaériens sont souvent employés avec un effet dévastateur dans un rôle au sol, en appui aux unités de l’infanterie. La 3e Artillerie divisionnaire est spécialement équipée d’obusiers automoteurs américains de 105 mm pour les premières vagues du débarquement en Normandie. Elle revient à ses pièces de 25 lb plus tard. Vers la fin de 1944, la 1re Batterie de roquettes est formée et équipée de 12 lance-roquettes, chacun tirant 32 roquettes explosives. Les officiers d’artillerie prennent aussi la voie des airs avec la formation de trois escadrons d’observation aérienne (OA). Les pilotes d’OA guident les tirs d’artillerie depuis leur aéronef Auster lorsqu’ils survolent le front.

Le 1er Régiment de campagne RCHA (nouveau nom donné à la brigade du RCHA au début de la guerre) est le premier des régiments d’artillerie à « visiter » le continent pour tenter brièvement de freiner l’invasion de la France par les Allemands en juin 1940. Son séjour ne dure que quatre jours et il doit presque abandonner ses pièces lorsque le quartier général britannique ordonne la destruction de tous les transports et les armes pour qu’il y ait assez de place pour évacuer le personnel. La détermination et l’entêtement du commandant, le lieutenant-colonel J.H. Roberts, l’emportent et le régiment est le seul à rapporter ses canons de campagne en Angleterre.

La première armée canadienne en Europe, commandée d’abord par le général A.G.L. McNaughton, puis par le général H.D.C. Crerar, tous deux officiers d’artillerie, aura comme principal appui-feu deux artilleries royales de groupe d’armée (ARGA), cinq artilleries divisionnaires et deux artilleries du corps d’armée. L’ARC joue finalement un rôle important dans la campagne en Sicile, en Italie et dans le NordOuest de l’Europe.

Des éléments de la 2e Artillerie divisionnaire – surtout des hommes du 3e Régiment AAL, armés de mitrailleuses Bren pour offrir une défense aérienne aux attaquants – débarquent à Dieppe en 1942. En 1943, les canons de la 1re Division appuient l’infanterie et les chars canadiens en Sicile. Ensuite, en Italie, la 1re Artillerie divisionnaire, renforcée plus tard par la 5e Artillerie divisionnaire et la 1re Artillerie du corps d’armée, aide à écraser les défenseurs allemands pour établir un couloir le long de la péninsule italienne jusqu’à ce que toutes les troupes canadiennes se soient concentrées dans le Nord-Ouest de l’Europe en 1945.

Le 6 juin 1944, les artilleurs accompagnés de l’infanterie d’assaut de la 3e Division tirent avec leurs obusiers automoteurs de 105 mm à partir du pont des péniches de débarquement pour « l’approche au combat » sur les plages de Normandie. S’ensuivront la percée, la poche de Falaise, la ruée le long des rivages de la Manche, la poussée à travers la Belgique jusqu’à l’Escaut, la libération des Pays-Bas, la percée vers le sud-est à travers le Hochwald et la bataille du Rhin. De nombreux barrages, concentrations et bombardements incessants ont servi à soutenir la 1re Armée canadienne dans ses cruels engagements avec les Allemands.

Les progrès en artillerie jouent un grand rôle dans la victoire des Alliés pendant la Deuxième Guerre mondiale. Si les armes de l’artillerie n’ont pas connu de changements radicaux depuis la Première Guerre mondiale, on note des améliorations évolutives dans la portée, l’efficacité des munitions, l’entretien et la mobilité des canons. Celles-ci comprennent la parfaite combinaison des caractéristiques du canon (grande vitesse initiale) et de l’obusier (haute trajectoire) dans les 25 lb, et la mise au point de l’artillerie automotrice. Une autre innovation du début de la Deuxième Guerre mondiale concerne les observateurs qui n’ont plus à calculer les données de la pièce pour le tir indirect, comme le voulait la pratique durant la Première Guerre mondiale, mais cette fonction est dorénavant confiée aux postes de commandement; ils ne donnent que l’emplacement et la description des objectifs, et les ordres concernant le volume du tir conformément à la pratique moderne.

Les Canadiens participent aussi au plus important développement de l’artillerie durant la guerre : la capacité d’un commandant allié de réduire rapidement à un seul objectif le feu d’une concentration massive de canons (d’une division, d’un corps ou même d’une artillerie). Pour ce faire, il faut la mise au point de matériel radio fiable et d’autres matériels de transmission, des méthodes de levé des canons plus efficaces, plus rapides et plus précises et des méthodes perfectionnées de conduite de tir, de communication par radio et de planification de tir. La mise en service de ce système demande un haut niveau de compétence de la part de chacune des troupes et batteries. La plupart des concentrations employées durant la guerre se déroulent au niveau de la division, où le commandant de l’Artillerie royale a toujours à sa disposition les feux de deux à trois régiments de campagne (48 à 72 pièces). Les principales batailles, habituellement contrôlées au niveau du corps ou de l’armée, se traduisent invariablement par le tir de concentration de 500 à 1000 canons et mortiers.

L’attaque de la Première Armée canadienne depuis Nimègue, au sud-est de la Rhénanie, qui a lieu au début de février 1945 durant l’Op Veritable, est un bon exemple de la façon dont les artilleurs canadiens et britanniques réussissent un feu concentré et précis. Le commandant de l’Armée, le général Crerar doit mener une attaque frontale en succession contre trois zones fortifiées, chacune bien ancrée sur le Rhin. Il s’agit d’un système d’avant-postes bien défendus sur la face ouest de la Reichswald; ensuite, à trois milles de là, l’extrémité nord de la ligne Siegfried; et enfin, 12 milles à l’est, la position défensive de réserve de la Hochwald. Les défenses comprennent de multiples lignes de tranchées reliant des centres de résistance et renforcées par des fossés antichars. Les petites villes et les villages entre la 1-16/30 deuxième et la troisième zone ont été considérablement fortifiés. L’objectif final du général Crerar se trouve à 40 milles de ses lignes de front. En raison de la profondeur du dispositif, l’Op Veritable est planifiée en trois étapes séparées par un intervalle de temps suffisant pour regrouper l’infanterie et les blindés et amener l’artillerie jusqu’à portée des nouveaux objectifs. Le général Crerar commande le 30th British Corps, tandis que le 1st British Corps fournit un point d’ancrage et de déception vers le sud. Vu l’étroite distance entre le Rhin, au nord, et la Meuse, au sud, le premier assaut sera mené par les cinq divisions du 30th Corps (comprenant la 2e Division canadienne) et, à mesure que la distance s’agrandit entre les cours d’eau, le 2e Corps canadien se joindra au flanc gauche.

Le soutien de l’artillerie à l’opération est considéré comme un facteur important de la victoire. Le plan de feux du 30th Corps est conçu pour faire profiter aux Alliés d’un avantage de 14 à 1 sur l’artillerie allemande et utiliser une canonnade massive pour ouvrir la voie à l’infanterie dans les défenses ennemies. Le plan de feux fait appel à ce qui suit :

  • un bombardement préliminaire pour empêcher l’ennemi d’entraver le premier assaut;
  • une saturation complète des défenses de l’ennemi;
  • une destruction des positions bétonnées connues;
  • un feu de soutien immédiat pour l’attaque;
  • un feu maximum des régiments moyens sur les hauteurs de Materborn à 12 000 verges de la ligne de départ, sans qu’ils aient à avancer.

Les feux des sept artilleries divisionnaires seront renforcés par ceux des cinq artilleries royales de groupe d’armée, des deux brigades antiaériennes et des unités de l’artillerie du Corps et de l’Armée, soit au total 1 034 canons (en plus des canons de 17 lb et des Bofors de 40 mm, qui seront utilisés avec les chars, les mortiers et les mitrailleuses pour « poivrer » les objectifs choisis par un tir de harcèlement). Les localités ennemies, les quartiers généraux et les sites de communications sont tous ciblés. Six tonnes environ d’obus toucheront chaque objectif. Les défenses bétonnées du Materborn subiront les feux des canons de 8 po et de 240 mm du 3rd Super Heavy Regiment RA, se trouvant dans le secteur du 1st British Corps au sud. Le plan de feux s’amorce avec le feu préparatoire de 5 h à 9 h 45 le jour J (8 février 1945). Il est suivi d’un barrage en bloc prévu pour soutenir les trois divisions centrales dans leur progression. Le barrage commencera à 9 h 20 et durera soixante-dix minutes à sa position initiale, à une profondeur de 500 verges. À l’heure H (10 h 30), il se déplacera à 300 verges toutes les douze minutes pour favoriser la vitesse de progression de l’infanterie et des blindés sur le terrain difficile.

On ajoute un élément nouveau au plan de bombardement préliminaire. Entre 7 h 30 et 7 h 40, un écran de fumée sera tiré le long du front, suivi de 10 minutes de silence complet. On espère que l’ennemi, considérant l’écran comme prélude à l’assaut principal, engagera son artillerie, exposant ainsi les positions de ses canons. Les repérages par éclats, les repérages par le son et les enregistreurs à plume des batteries de repérage essaieront de situer les positions des batteries ennemies, permettant aux contre-batteries de tirer pour neutraliser les canons ennemis exposés avant l’heure H.

Le 2e Corps canadien exécute un programme de dépôt massif de munitions avant l’assaut. Plus d’un demi-million de projectiles, pesant plus de 10 000 tonnes, est mis en dépôt – 700 obus par canon sur les positions de pièces de campagne et 400 obus par canon sur les positions moyennes. De plus, le contenu de 120 camions par division, soit des munitions de 40 mm, de 17 lb, de 75 mm et de 12,7 mm sont mis en dépôt pour « poivrer » l’ennemi. Plus de 10 000 roquettes de trois pouces sont apportées pour la batterie de Land Mattress. Toute la campagne entre Nimègue et Mook, et plus loin sur la berge d’arrivée de la Meuse, semble rempli de chars, de pièces, de véhicules et de troupes en attente.

Surprises par la férocité du bombardement préliminaire de plus de 500 000 coups tirés par diverses armes et immobilisées par le remarquable barrage produit par plus de 160 000 obus, les troupes ennemies désorganisées offrent une faible résistance à l’assaut de l’infanterie et des blindés. L’efficacité des programmes de la contre-batterie et du contre-mortier se manifeste dans l’absence quasi totale d’obus et de mortiers tirés par les Allemands. La plupart des pertes, relativement faibles, chez les Alliés sont plutôt causées par des mines que par l’artillerie ou par les armes légères. Les prisonniers parlent de ce que la préparation de l’artillerie et le barrage ont accompli. Selon certains rapports, la moitié des pièces d’une batterie de 12 canons a été détruite et 32 des 36 pièces ont été neutralisées dans une autre localité. Le bombardement, selon ce que les interrogateurs ont entendu, a eu un effet dévastateur sur le moral et provoqué un sentiment d’impuissance et d’isolement, sans espoir de renforcement possible. Les défenseurs allèguent cependant qu’en raison de la solidité des abris, les feux d’artillerie et la « poivrade » de l’assaut initial n’ont pas causé de graves blessures dans leurs rangs. Ceux qui se sont fait prendre à découvert ont été moins chanceux. Les feux de l’artillerie ont également réussi à perturber sensiblement les lignes de communication et de réapprovisionnement allemandes.

Le succès du jour est en grande partie attribuable aux facteurs contributifs des programmes de tir de pièces bien organisés, des munitions soigneusement triées, des meilleures données météorologiques et des pièces récemment calibrées. Ces grandes préparations ont réussi à donner à l’opération un appui d’artillerie efficace. Mais ce n’est pas tout. L’artillerie continuera d’appuyer les troupes avec des barrages, des écrans, un soutien direct et des feux de contre-batterie jusqu’à ce que l’ennemi soit finalement vaincu trois mois plus tard.

Au total, 89 050 officiers et soldats auront servi dans l’Artillerie royale canadienne pendant la Deuxième Guerre mondiale. De ce nombre, 57 170 hommes servent en Europe, à Terre-Neuve, aux Aléoutiennes et dans les Antilles. Le reste sert au Canada à la défense du territoire au sein d’unités de campagne, antiaériennes et côtières ainsi que dans un grand nombre d’écoles et de dépôts. Le Canada dispose alors de trois artilleries faisant partie des 6e, 7e et 8e Divisions pour la défense territoriale. En 1945, une autre 6e Division, complète avec sa propre artillerie divisionnaire, est formée pour servir en Extrême-Orient. Elle s’entraîne encore au Canada et aux États-Unis lorsque la guerre contre le Japon prend fin. Durant la guerre, les pertes subies par le régiment s’élèvent à 2 073 morts et 4 373 blessés.

À l’issue de la guerre, la puissance de feu d’artillerie à la disposition de la Première Armée canadienne en Europe compte au total :

  • 15 régiments d’artillerie de campagne (264 canons tractés de 25 lb, 48 canons AM Sexton de 25 lb, 48 canons AM Priest de 105 mm);
  • six régiments moyens (48 canons de 5,5 po, 48 canons de 4,5 po);
  • sept régiments antichars (150 canons tractés de 17 lb, 150 canons AM de 17 lb);
  • un régiment d’artillerie antiaérienne lourde (HAA) (24 canons antiaériens de 3,7 po); 1-18/30
  • sept régiments AAL (60 canons tractés de 40 mm, 108 canons AM de 40 mm, 84 canons de 20 mm montés sur quatre roues);
  • 32 VBC de PO (dans les régiments de campagne AM avec les 4e et 5e Divisions blindées canadiennes);
  • une batterie de roquettes (36 lance-fusées Land Mattress).

Pendant la guerre, bien que ne faisant pas partie du Canada à l’époque, la province de Terre-Neuve a constitué deux régiments d’artillerie pour servir dans l’armée britannique. Le 59e Régiment lourd (TerreNeuve) RA a combattu dans le nord-ouest de l’Europe, tandis que le 166e Régiment d’artillerie (TerreNeuve) RA a combattu en Afrique du Nord et en Italie.